Le Restaurant

Publié le par houda zekri

Le restaurant

 

Dans un restaurant mal éclairé. Une nappe à carreaux rouges et blancs. Un petit vase en grès avec des fleurs en plastique.

 

Saperlotte : Pourquoi est ce que tu ne manges pas ?

 

Saperlipopette : Mais je mange !

 

Saperlotte : Ça ne te plaît pas ?

 

Saperlipopette : Si.

 

Saperlotte : Alors ? Qu’est ce qui ne va pas ?

 

Saperlipopette : Tout va bien. Je mange à mon rythme.

 

Saperlotte : C’est ça oui !

 

Saperlipopette : On dirait que tu as choppé la « Juliose ».

 

Saperlotte : C’est quoi ce truc ?

 

Saperlipopette : (Ne répond pas tout de suite, elle prend le temps de siroter un potage pékinois gélatineux et froid) Une maladie.

 

Saperlotte : Jamais entendu parler de cette saloperie.

 

Saperlipopette : C’est une maladie qui atteint uniquement les hommes. A partir de la puberté.

 

Saperlotte : Ça va alors.

 

Saperlipopette : Tu crois ?

Saperlotte : Oui, puisque ça n’atteint que les mecs, et au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je suis une gonzesse...

 

Saperlipopette : Je le sais que t’es une gonzesse, mais on dirait pas, tu parles comme les mecs, tu te comportes comme le « Jules » primaire qui se croit tout permis parce qu’il a les moyens d’inviter sa copine au restaurant.

 

Saperlotte : Je suis une femme et je sais que tu as les moyens de te payer un restaurant toute seule, mais si je le fais, c’est pour te faire plaisir.

 

Saperlipopette : Mais tu me fais plaisir. Si seulement tu pouvais te taire un peu, mais tu ne peux pas, t’as besoin d’être acclamée, d’être applaudie, à tout moment de la journée tu as besoin de remerciements, de congratulations, tu as besoin de reconnaissance, tu veux qu’on te dise que sans toi on ne vaut rien, sans ton secours on est dans la merde...

 

Saperlotte : Mange, le potage est déjà froid, je veux passer au plat suivant.

 

Saperlipopette : Mais tu peux ma chère. Garçon !

 

Saperlotte : Tais-toi. Ne l’appelle pas Garçon, il s’appelle Sapristi, Sa pour les intimes. C’est un garçon tout à fait charmant et t’as pas à le commander.

 

Saperlipopette : Mais je ne le commande pas. (Elle jette sa cuiller sur la table, s’apprête à se lever pour partir) J’étais bien tranquille chez moi sous ma couverture en train de regarder mon émission préférée avec mon animateur préféré, et voilà madame qui débarque, sur ses trente et un et qui me dit qu’elle a réservé pour deux, dans un petit restaurant sympathique, et pas moyen de refuser, ça serait offusquer tes élans de générosité. Je rentre !

 

Saperlotte : Ce que tu peux être susceptible. Je voulais juste qu’on attaque le plat de résistance au même moment ; des moules à la crème et des frites, ah des frites belges, tu m’en diras des nouvelles, reste, tu ne vas pas me laisser toute seule ?

 

Saperlipopette : Et qu’est ce qui m’en empêcherait ?

 

Saperlotte : Notre amitié.

 

Saperlipopette : Tu me prends par les sentiments. Mais tu sais, ton manège, ça ne fonctionne plus...

 

Saperlotte : De quel manège tu parles voyons, sois raisonnable.

 

Saperlipopette : Depuis que je vis sous le même que toi, je ne suis plus raisonnable...

 

Sapristi arrive avec deux plats. Ses gestes sont précis. Son sourire indéfectible. Saperlipopette attend jusqu’à ce qu’il dépose les deux plats sur la table.

 

Saperlipopette : Nous n’avons plus faim. Je vais régler la note.

 

Saperlotte : Nous n’avons pas encore commencé. Elle s’est juste un peu emportée, un petit verre lui fera le plus grand bien. (A l’attention de Saperlipopette) Je te comprends, toutes ces longues journées de travail que tu passes debout, je comprends...(Le serveur s’éloigne) Qu’est ce qui se passe à la fin ?

 

Saperlipopette : Ton manège ?

 

Saperlotte : Quoi mon manège, tu m’exaspères, parle, pour une fois que tu as l’occasion de parler, tu ne vas pas t’en priver...

 

Saperlipopette : Je n’attends pas ta permission. Je sais ce que tu trames derrière mon dos. Tu complotes derrière mon dos alors que c’est moi qui t’ai accueilli sous mon toit, tu veux partir, tu as trouvé une autre planque ?

 

Saperlotte : Tu fais une crise de jalousie ou quoi, je ne suis pas ta petite amie, je suis juste ton amie.

 

Saperlipopette : Même pas !

 

Saperlotte : Si c’est toi qui le dis.

Saperlipopette : Tu me brises le cœur. (Elle s’arrête de parler. Elle dévore les frites avec frénésie). Tu vas me quitter pour lui ?

 

Saperlotte : Qui c’est qui t’a dit que j’allais quitter la maison ?

 

Saperlipopette : J’ai comme un sentiment...

 

Saperlotte : Tu m’espionnes maintenant, tu écoutes mes messages ? Qu’est ce que tu croyais, que j’allais rester éternellement avec toi dans cette maudite piaule de treize mètres carré, tu croyais que j’allais continuer à obéir à tes ordres et à tes interdits, réveille-toi ma belle, va te chercher un petit « Jules », tu vas finir par moisir toute seule dans ce taudis.

 

Saperlipopette : Tu as profité de moi. Jusqu’à la fin, tu as profité de moi, de ma gentillesse, de ma naïveté...

 

Saperlotte : Arrête de te plaindre, tu sais bien que je t’aime, mais j’ai besoin d’amour et mon copain me propose de venir crécher chez lui, il ne supporte plus de dormir seul la nuit, il a besoin de câlins, il veut que je lui raconte une histoire avant de dormir, c’est comme un bébé...

 

Saperlipopette : Tu vas m’oublier. Pourquoi tu m’invites au restaurant si c’est pour m’abandonner par la suite ?

 

Saperlotte : Mais je t’invite au restaurant parce que c’est ton anniversaire !

 

Saperlipopette : Je veux renter à la maison. Toute seule. Ce soir tu ne dormiras pas à côté de moi, va dormir à côté de ton petit débile mental.

 

Saperlotte : Mais je ne déménage que le mois prochain !

 

Saperlipopette : Je m’en fous. Je veux vivre toute seule. Je ne supporte plus l’odeur de tes chaussettes sous la couette, tu ne te laves jamais les pieds...

 

Saperlotte : Sapristi ! La note s’il vous plaît. Je n’ai plus faim. (A Saperlipopette) Tu as le chic de me couper l’appétit même quand j’ai vraiment faim. Tu ne changeras jamais !

 

Saperlipopette : C’est ça oui.

 

Saperlotte : Supporte l’odeur de mes pieds, les ongles de mes orteils noirs, juste pour ce soir,  et demain je partirai.

 

Saperlipopette : Tu vas vraiment partir ? Reste encore un peu, c’est le dernier anniversaire que nous passons ensemble...

 

Saperlotte part sans se retourner, elle paye l’addition, on entend la porte du restaurant tinter et le bruit de mastication de Saperlipopette qui continue à dévorer nerveusement les frites qui restent.

 

Houda ZEKRI

18 févr. 2008

Publié dans théâtre

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